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Transports ferroviaire et fluvial pâtissent de sous-investissements

Le transport d'une tonne de grain par train ou péniche émet respectivement neuf et cinq fois moins de gaz à effet de serre que le camion.

Malgré les atouts qu’on leur prête, les transports fluvial et ferroviaire n’ont pas vraiment ravi de parts de marché aux camions ces dernières années voire même, lui en ont cédés. Supposés participer à la décarbonation du maillon transport, ils nécessitent de lourds investissements.

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Le transport reste l’une des principales sources d’émissions de gaz à effet de serre de la filière céréalière qui cherche donc à en réduire l’impact sans affecter sa rentabilité. Pour le camion, l’utilisation de biocarburants représente la piste la plus accessible, avec l’amélioration énergétique des véhicules et la réduction des kilomètres parcourus à vide. Les efforts se concentrent ensuite sur l’évolution des motorisations avec les questions d’autonomie ou de disponibilités des matériaux bien connues pour l’électrique. La solution peut toutefois se montrer intéressante à court terme pour « du pré et du post-acheminement sur de petites distances, d’un silo jusqu’à un port fluvial pour poursuivre sur un transport par péniche, par exemple », évoque Bruno Bouvat-Martin, référent logistique à Intercéréales.

Autre solution pour décarboner la logistique, les transports ferroviaire et fluvial (fleuves, rivières et canaux) puisque ceux-ci émettent respectivement neuf fois, et cinq fois moins de gaz à effet de serre à la tonne transportée que le camion, selon SNCF Réseau et VNF (voies navigables de France). Pour autant, ils restent minoritaires dans le transport des céréales, n’en représentant « que » 16 % pour le fluvial et 17 % pour le train en moyenne entre 2018 et 2022 et donc, 66 % pour le camion. À noter que ces répartitions ne prennent pas en compte le brouettage (petits trajets assurés intégralement en camions, entre l’exploitation et le lieu de collecte ou entre un silo de proximité et un silo de regroupement). Pour le train, la situation s’est même dégradée au profit du camion : sa proportion était de quelque 25 % dix ans auparavant, retrace Bruno Bouvat-Martin. Pour ce dernier, que le train reprenne ces parts de marché perdues « serait déjà un bon début ».

Manque de flexibilité

Pourquoi un tel désaveu pour le train pourtant si prometteur ? Il faut reconnaître que ses défauts ne manquent pas. L’un des principaux cité unanimement par les opérateurs étant la rigidité de la planification des flux qui s’anticipent jusqu’à deux ans à l’avance. Anticipation qui se comprend mais reste peu compatible avec l’imprévisibilité des récoltes et des contrats commerciaux passés entre les organismes stockeurs (OS) et leurs clients, fait remarquer Bruno Bouvat-Martin. Cela conduit à une moyenne de 20 % d’annulation par an, « qui ont bien sûr un coût, estimé à 5 millions d’euros », chiffre-t-il.

Les opérateurs lui reprochent également un manque d’entretien de son réseau, qui génère des dysfonctionnements « fréquents » avec des prix de fret élevés, fait remarquer la section métiers du grain de La Coopération Agricole (LCA). Elle partage d’ailleurs le témoignage d’une coopérative adhérente, qui effectuait « 80 % de [ses] transports en ferroviaire jusqu’en 2023. Mais le désengagement de l’Etat a conduit à la fermeture de leur ligne, sur laquelle ils chargeaient 80 trains par an. Sans solution, ils [remettent] désormais plus de 4 000 camions par an sur les routes ».

Les lignes capillaires en difficulté

Le transport ferroviaire français a besoin de davantage d’investissements, reconnaît SNCF Réseau. Pour ce dernier, il conviendrait de passer « rapidement » de 3 à 4,5 milliards d’euros par an. Et dans le cas particulier du transport de céréales, le principal défi consiste à maintenir en service les lignes « capillaires ». Elles s’étalent le plus souvent sur quelques dizaines de kilomètres pour desservir des silos, et sont utilisées par un à trois chargeurs (propriétaires de la marchandise), pour seulement quelques allers-retours par semaine, comme l’explique le gestionnaire du réseau ferroviaire français. Il indique y investir environ 60 millions d’euros par an, financés par des acteurs publics et les chargeurs concernés. « Toutefois, dans certains cas, il devient difficile de réunir un tour de table », note la société. Et bien souvent, ses clients parlent de montants colossaux, leur posant des questions de rentabilité.

La mutualisation de ces investissements entre plusieurs organismes stockeurs ou autres entreprises utilisatrices de transport de fret (de la filière céréalière ou non) pourrait ainsi montrer son intérêt. Intercéréales travaille sur le sujet, avec l’objectif de mettre autour de la table les acteurs concernés. Autre note un peu plus positive, SNCF Réseau et Intercéréales ont signé convention de partenariat de cinq ans début 2025 « pour diminuer les annulations de trains, réduire les coûts cachés et avoir des indicateurs fiables pour piloter l’ensemble », résume l’interprofession.

2,5 milliards pour le fluvial

À noter également que le train présente l’avantage de massifier le transport avec une capacité de 1 200 voire 1 500 tonnes contre 30 pour le camion. « On peut avoir en face de nous des transformateurs qui se sont aussi regroupés, qui ont des usines importantes sur lesquelles […] ils peuvent accueillir ces tonnages et qui apprécient de ne recevoir qu’un train plutôt que 40 camions », détaille Bruno Bouvat-Martin. Un argument transposable au fluvial, dont les péniches peuvent contenir de 250 à plus de 3 000 tonnes, mais qui rencontre les mêmes problématiques de sous investissements.

La Cour des comptes l’avait souligné dans un rapport fin 2024, prenant l’exemple de VNF qui assure la gestion de 80 % des 8 500 km de voies navigables françaises. En conséquence, « de nombreux incidents sont à déplorer ces derniers mois sur les axes Seine et Moselle », ayant entraîné pour certains jusqu’à deux mois de suspension de la navigation, et plus globalement un allongement « des délais de livraison et des surcoûts pour les opérateurs », relève la section métiers du grain de LCA.

Face à ces difficultés économiques, VNF se réjouit du contrat d’objectif qu’elle a signé avec l’Etat en 2020, lui garantissant « un certain niveau d’investissements sur le réseau », rapporte Eloi Flipo, chef du chef du service transport et report modal de VNF. « Il permet d’augmenter de près de 50 % les crédits consacrés à l’entretien en portant le montant cible d’investissement entre 2023 et 2032 à 2,5 milliards d’euros. [Ces moyens] restent cependant très en deçà des besoins estimés à 3 milliards d’euros sur dix ans pour stabiliser l’état du réseau et à 3,8 milliards d’euros pour le remettre réellement à niveau », commente la Cour de comptes. Il faut dire que les coûts d’entretien (dragage notamment) ont explosé, fait remarquer Eloi Flipo. VNF explique également être confronté à la prolifération d’algues dans certaines voies relativement peu fréquentées, comme le réseau à petits gabarits, et qui finissent par gêner voire empêcher la navigation.

Pénurie de bateliers

Pour renflouer les caisses, VNF pourrait rehausser les redevances dont les mariniers s’acquittent. « Nous réfléchissons à une refonte de ce système, mais serons très attentifs à ne pas pénaliser la compétitivité du transport fluvial », assure Eloi Flipo. D’autant que cette recette représente « moins de 5 % des frais de maintenance et de régénération du réseau », calcule-t-il. Le reste étant principalement couvert par le biais financements publics.

L’accès à des financements suffisants pour entretenir et moderniser son réseau reste donc l’un des grands enjeux auxquels fait face VNF. À noter qu’outre la navigation, son réseau accueille une multitude d’usages (eau potable, centrales nucléaires, etc.). Tout comme pour le transport routier, le renouvellement des générations de mariniers à horizon 2030 apporte quant à lui de réelles inquiétudes, et le verdissement de la flotte (carburants décarbonés ou plus complexe, passage à la propulsion électrique) est dans les tuyaux, liste Eloi Flipo. Autre enjeu de taille, VNF cherche à attirer une plus grande diversité de secteurs pour le fret, aujourd’hui « trop concentré sur deux marchés traditionnels » que sont les céréales et les granulats, pour 60 % du trafic, ajoute-t-il. Pour ce faire, VNF organise des évènements d’information sur le transport fluvial, dont « River Dating », prévu à Lyon les 3 et 4 décembre prochains.

Si Eloi Flipo assure que les voies fluviales peuvent accueillir davantage de trafic, Intercéréales parle en revanche de cales insuffisamment nombreuses pour un fonctionnement fluide. L’interprofession souligne également que la construction du canal Seine-Nord-Europe, projet d’envergure très attendu, ne sera en service qu’en 2032, « au mieux ». Il reliera plusieurs grandes voies qui n’étaient connectées jusqu’alors que par des axes à petits gabarits, permettant la navigation des bateaux les plus grands.

Disparités régionales

La section métiers du grain de LCA rappelle quant à elle qu’il existe « de fortes disparités entre régions » avec certains organismes stockeurs trop éloignés des ports pour basculer sur du transport fluvial. Le réseau français est d’ailleurs hétérogène, « avec globalement deux tiers n’accueillant que les péniches de petits gabarits, et le tiers restant où se concentre 95 % du transport fluvial français avec les grands gabarits », explique Eloi Flipo. Certaines zones sont ainsi très bien desservies, comme les ports situés aux embouchures des grands fleuves qui profitent de « silos très performants » et où en moyenne « 25 à 30 % des céréales arrivent » par bateau, souligne-t-il.

Au-delà des modes de transport, les OS mènent aussi une réflexion sur la logistique des « premiers kilomètres », avec du brouettage qui s’opère en camion. Ces flux pourront peut-être, à terme, être plus optimisés grâce notamment à des outils embarquant ou non de l’intelligence artificielle.

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